Les meuniers du Moulin de Lisle (4)

La famille Pacory vient s’installer au moulin en 1753, quatre générations de meuniers vont se succéder pendant un siècle, retrouvez l’histoire des deux premières générations dans l’article
Les meuniers du moulin de Lisle (3)

Génération 3. Jean Pacory

Durant l’été 1800, un recensement des habitants du château de Lisle du Gast et de ses propriétés en dépendant est établi. Au château vivent le régisseur des terres de Lisle, Louis Riou et sa famille, ainsi que sept serviteurs ou servantes. Dans les dépendances du château habitent René Lépinay et ses descendants, environ une quinzaine de personnes, qui entretiennent le domaine. Au village du Bois, quatre familles exploitent la ferme et ses terres. La métairie de la Gaudinière profite à Mathurin Piednoir et ses enfants. La maison de la Vieille Lavanderie est habitée par deux familles de tisserand et un farinier du moulin de Rouilly. Au moulin de Lisle, Michelle Bardou vit avec ses enfants issu de son mariage avec Julien Pacory : Michelle, Jean, Julien et Michel. Dans sa tâche de meunière elle est aidée par un farinier Mathurin Gesnier, une servante Julienne Drault et un serviteur René Pacory, cousin de son défunt mari.


Extrait du document listant les habitants du château de Lisle et des propriétés en dépendants 1800-AD53-140J14

En revenant sur leurs terres, les fils d’Héliand recouvrent leurs biens séquestrés. Les femmes libérées, la famille d’Héliand continuent à faire exploiter leurs biens. Les rentes seigneuriales ont disparu, les impôts fonciers font leur apparition et les fermiers sont toujours locataires. A Mayenne, Pierre-Jean-Baptiste d’Héliand épouse Agathe-Françoise-Adélaïde Gallery de la Tremblaye originaire d’Ambrières en présence de sa mère, Elisabeth-Victoire-Eléonore de Monteclerc qui s’est retirée dans sa maison familiale Grand-Rue à Mayenne où elle décédera en 1804. Le couple s’est installé au château de Lisle où la famille s’agrandit, cinq enfants naissent en six ans.

Le dix-sept floréal de l’an 13 de l’année républicaine (sept mai 1805), Michelle Bardou et son fils Jean Pacory, âgé de vingt-deux ans, signe un bail avec Monsieur Pierre-Jean-Baptiste Dhéliand pour six ou neuf ans, rédigé par le notaire public au département de la Mayenne : Louis-Pierre Bourbon. Les meuniers, en « bon père de famille » sont chargés de l’entretien des diverses pièces du moulin, des bâtiments, des terres, de gérer les plantations d’arbres que le propriétaire leurs fournira. Ils doivent faire traverser la rivière au gens du château, fournir au propriétaire un cheval pour faire le cidre et une femme pour la lessive. Le fermage annuel est de 460 francs accompagné de six chapons et six canards. Chaque année les Pacory doivent payer les charges et impôts jusqu’à la concurrence de 140 francs, soit au propriétaire, soit au percepteur. Au cas où Michelle Bardou ou son fils venait à décéder, le bail resterait au profit du survivant et si Jean Pacory venait à se marier le bail serait alors au profit de son épouse.

Cinq ans plus tard, Jean Pacory épouse Jeanne Leroy âgée de vingt ans. Elle est originaire de Montreuil où ses parents sont décédés. Elle est assistée par son oncle. Pour l’occasion, la famille Pacory s’est déplacée à la maison communale. Michelle Bardou est accompagnée de son fils Michel et de sa fille Michelle qui réside à la Lavanderie avec son mari René Lépinay. Michel a épousé Rose Fauveau, il exerce le métier d’aubergiste à Oisseau, aujourd’hui la Haie-Traversaine. Seul Julien a
quitté la région, il est devenu employé à Paris. Jean Pacory et sa femme prennent en charge le moulin, toujours aidé de Michelle Bardou et du cousin René Pacory qui s’est marié à l’âge de trente-sept ans avec Jeanne Goret de deux ans son aînée. Au début de l’année 1812, Jeanne Leroy accouche d’un premier fils qui décède en bas-âge. Quelques mois plus tard naît Jeanne, suivie d’Éléonore, Françoise, Vincent et Charles. Après vingt-deux ans de mariage, Jeanne Leroy met au monde un petit garçon nommé Henry. Celui-ci ne connaîtra son père que quelques mois. En effet à la fin du mois de janvier 1833, Jean Pacory décède à l’âge de cinquante ans, suivi en novembre par René Pacory. Jeanne Leroy poursuit son travail de meunière aidée de ses enfants représentant de la quatrième génération de Pacory meuniers au moulin de Lisle, et de domestiques.


En 1837, Pierre-Jean-Baptiste d’Héliand décède ; sa femme l’avait précédé. Deux ans plus tard, leur fils aîné, Pierre-Georges épouse Marie-Pauline de Quatrebarbes issue d’une famille noble de l’Anjou. Ils vivent au château de Lisle avec leurs trois enfants, Marie-Clothilde, Georges et Catherine nés dans les cinq années qui suivirent leur mariage. Leur dernière fille n’a que deux ans lorsque le Comte d’Héliand meurt et c’est sa veuve, tutrice de ses enfants qui gère leurs biens.

Armoiries de Quatrebarbes :

De sable, à la bande d’argent accompagnée de deux cotices du même

Génération 4. Eléonore Pacory

En 1848 un bail sous-seing privé est signé entre la comtesse de Quatrebarbes d’une part et Eléonore Pacory au nom de sa mère Jeanne Leroy d’autre part. La cadette, âgée de trente-trois ans est devenue l’aînée des enfants Pacory suite au décès de sa sœur Jeanne. Françoise s’est mariée l’année précédente avec un meunier de Sainte-Suzanne, Julien Richefeu. Les trois garçons continuent de travailler au moulin avec deux ou trois domestiques. Le bail est signé pour une durée de neuf ans à partir du vingt-quatre-avril prochain, les Pacory s’engagent à faire les réparations et à maintenir en bon état les haies, clôtures, prés et terres. Ils doivent entretenir les braies (filets de pêche) et apporter les plus beaux poissons pêchés au château, ainsi que huit canards et quatre poulardes tous les ans. Les meuniers sont chargés de nourrir les ouvriers employés aux travaux de réparation du moulin et leur fournir les matériaux. Comme depuis quelques décennies, une laveuse du moulin participera aux lessives du château chaque fois que la comtesse en fera la demande. Annuellement, Les Pacory s’acquittent des impôts quel qu’en soit le montant et paient un fermage de neuf cent cinquante francs. Mme de Quatrebarbes se réserve le droit d’exiger un bail authentique aux frais des Pacory. Dans le cas où Jeanne Leroy décède, c’est la comtesse qui désignera l’enfant qui aura le droit de jouissance du bail.

A la suite du document, il est listé les différents objets appartenant à la propriétaire et aux occupants. Ainsi il apparaît que le moulin a subi des transformations en s’équipant d’un système appelé « à l’anglaise ». Les propriétaires ont fourni des rouages en fonte et une charpente permettant d’entraîner, avec la seule roue hydraulique, trois paires de meules installées en série et alimentées par des convoyeurs : c’est le début de l’automatisation. Ce mécanisme inventé par un américain au début du XIXème siècle, Oliver Evans, permet d’obtenir une farine plus fine, plus blanche et plus sèche, elle devient plus facile à stocker et à conserver.

En décembre 1850, François Breteau et René Lecourt domestiques au moulin de Lisle, se rendent au bourg de Saint-Fraimbault-de-Prières déclarer le décès de Jeanne Leroy âgée de soixante ans. Conformément aux écrits du bail signés deux ans avant, la comtesse d’Héliand désignent deux enfants : Eléonore Pacory, l’aînée et Charles Pacory, pourtant plus jeune que Vincent qui travaille toujours au moulin, comme le dernier des fils Henry. Françoise devenue veuve, est revenue vivre chez ses frères et sœur avec ses deux jeunes enfants. Quelques mois avant la fin de leur engagement, les enfants Pacory annoncent qu’ils ne renouvelleront pas le bail, ils demandent une prolongation d’un an. Un état des lieux est fait par le mécanicien Bodin de Laval qui avait fait les nouvelles installations, l’usure des pièces est estimée à 112 Frs. Cette somme est minorée par les améliorations faites depuis la dernière montrée : la construction du bâti du tir-sac, celle d’un toit à porc et une auge en pierre, estimés à 51 Frs. Bien qu’ayant réglé ces dettes, les frères Pacory ont une autre réclamation à faire à Madame de Quatrebarbes qu’elle prendra soin d’écrire dans une lettre destinée à ses enfants :

Recto
1. Il est resté entre les mains des frères Pacory
2. lorsqu’ils ont quittés le moulin de Lisle en avril
3. 1858, la copie d’une montrée faite à ce moulin
4. l’an 4 de la république par des experts envoyés
5. par le district de Mayenne pour constater l’état
6. des lieux. Il résulte de cette montrée qu à cette
7. époque le père Pacory avait fait plusieurs
8. réparation de la chaussée et aux batiments
9. qui devaient être payée par le propriétaire. Mon
10. beau-père émigré ne jouissait pas de sa fortune
11. qui était sous le séquestre. Les frères Pacory m’ayant
12. réclamé le prix de ces réparations et d’une boulan-
13. -gerie bâtie aussi par leur grand-père, je ne le leur
14. ai pas donné convaincue que le district ou à son
15. retour en France mon beau-père devaient avoir rem-
16. -boursé leur famille de ces frais qui avaient plus de

verso
17. 60 ans de date mais pour être sûre de ce que
18. je devais faire consciencieusement, j’ai consulté
19. un prêtre dans lequel j’avais confiance qui m’a
20. répondu après en avoir causé avec d’autres
21. téologiens, que la conscience ne m’obligeaint pas
22. du tout à payer la somme que réclamaient les
23. Pacory qu’il était plus probable qu’ils avaient
24. été remboursés, et qu’après avoir pesé avec
25. reflexion les raisons pour et les raisons contre
26. il me dispensait de tout dédommagement.
27. Je laisse cette note afin d’éclairer mes enfants
28. si cette réclamation leur était faite de nouveau
Lisle le 14 juillet 1858
Pauline d’Héliand

Les enfants Pacory quittent Saint-Fraimbault, pour le nord-est du département, Charles décède en 1872 à Couprain. Henri et Vincent se sont installé à Neuilly-le-Vendin avec Eléonore, ils sont ouvrier et journalier. Après le décès de ses frères, Eléonore Pacory finit ses jours à l’asile de la Coconnière de Laval où elle décède en 1893. Ces quatre enfants Pacory ne se sont pas mariés.

Les meuniers du moulin de Lisle (1)
Les meuniers du moulin de Lisle (2)
Les meuniers du moulin de Lisle (3)

Sources :
Archives Départementales de la Mayenne Série E.
Archives Départementales de la Mayenne Série M.
Archives Départementales de la Mayenne Série J :
Seigneurie de Lisle (140J19).
Baux du moulin de Lisle (140J26).
Travaux et fermage du moulin de Lisle (140J14).
Archives Départementales de la Mayenne Série S.
https://archives.lamayenne.fr/

Archives Départementales de l’Orne Série E.
https://archives.orne.fr/

ANGOT Alphonse Abbé, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, tome I à II, 1900 à 1906.
ANGOT Alphonse Abbé, GAUGAIN Ferdinand. Abbé, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, tome IV(supplément), 1909.
Archives de la Société des Collectionneurs d’Ex-Libris et de Reliures Historique onzième année, Macon, 1904
GROSSE-DUPERON Albert, L’Église de Notre-Dame de Mayenne, notes et documents. Tome 1 / , Mayenne, 1911-1912
D’HOZIER Charles-René, Volumes Reliés du Cabinet des titres. Armorial général de France XXXIII Tours, I, 1701-1800
POINTEAU Ch Abbé, Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, Laval, 1891.
Du PONTAVICE Gabriel, Chouans et patauds en Mayenne 1792-1800, Floch, 1994.
SOUVESTRE Emile, Revue des Deux Mondes (1829-1971) Vol.19, N°6 (15 septembre 1847) La chouannerie dans le Maine. Les Faux-Saulniers [page 961-995]

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