Les meuniers du Moulin de Lisle (3)

Les meuniers du moulin de Lisle (1)
Les meuniers du moulin de Lisle (2)
La famille Pacory vient s’installer au moulin en 1753, quatre générations de meuniers vont se succéder pendant un siècle…

Génération 1.Julien Pacory

Julien Pacory, né en 1716, est le fils du meunier Bernard Pacory de Oisseau et aussi petit-fils de meunier. Il a épousé Renée Bellier en 1742 à Chantrigné et exerce le métier de meunier au Horps au moment où il signe son premier bail avec la nouvelle propriétaire : Catherine Anne de Lisle du Gast. A leur arrivée au moulin de Lisle à la Saint-Georges de 1753, les parents Pacory ont deux fils : Julien et Bernard, trois autres enfants sont morts l’hiver de l’année précédente.

Lors de la signature du premier bail, le quinze juin 1752, rédigé par le notaire royal du Maine, René-François Oger, les conditions générales changent peu : il faut payer la somme de 440 livres par an et fournir des volailles à la Saint Georges et à Noël (douze poulets, six chapons et six halbrans). Une nouvelle information apparaît à la fin du bail : si la Mayenne venait à déborder, les meuniers et leur famille pourront être logés au logis de la bailleresse et leurs chevaux abrités dans les écuries du château.

Ce bail est signé pour neuf ans mais peut être réduit à six si l’une ou l’autre partie en fait la demande six mois avant. C’est pourquoi le vingt-cinq mai 1759, les parties se retrouvent autour du même notaire royal pour revoir les conditions du bail. Il est alors convenu que le fermage est diminué de 60 livres par an pour les années restantes et les neuf du bail suivant soit jusqu’en 1771. En contrepartie, une visite du moulin sera effectuée pour estimer les réparations à faire à la charge des Pacory.

La visite a lieu le dix juillet 1759 entre sept et huit heures du matin en présence du notaire royal au Maine René-François Oger, de Mademoiselle Catherine Anne De Lisle du Gast, de Julien Pacory et Renée Bellier. Le couple a choisi comme expert un maître charpentier du faubourg Saint-Martin de Mayenne : Honoré Davoust. Ce dernier va révéler toutes les pièces usées et défectueuses et estimer pour chacune la valeur de remplacement ou de réparation :

  • L’arbre est au quart usé, les trois autres quart sont estimés à vingt-sept livres, bien qu’il y ait une fente dans l’embase du rouet.
  • La roue est au deux tiers usée et est disjointe en cinq endroit, trois courbes sont fendues. Elle est estimée à la somme de quarante trois livres maximum mais peut-être réparée pour dix neuf livres.
  • Deux ferteaux de fer et deux tourillons à chaque bout de l’arbre sont cassés et estimés à la somme de dix livres pour les ferteaux et neuf livres et cinq sols pour les tourillons.
  • Le rouet est neuf et estimé à trente six livres malgré deux « petites pourritures » sur deux des quatre chanteaux (pièces de bois ayant la forme d’un arc de cercle).
  • Deux tourillons de l’arbre, estimés à neuf livres et cinq sols
  • Les deux tourtes de la fuzée (ou lanterne) sont usées, l’estimation est de quatre livres et cinq sols
  • L’anille et le fer sont en bon état
  • Le câble de corde est usé et estimé à quarante sol
  • Les meules sont à trois quart usées et le cercle paraît en bon état

Après lecture de l’acte, le maître charpentier se fait payer la somme de trois livres pour son travail, par Mademoiselle de Lisle du Gast. Les Pacory s’engagent à maintenir en état de marche le moulin et si à leur départ des améliorations ou au contraire des détériorations par rapport à cette visite sont constatées, il en sera tenu compte par la propriétaire.

Renée Bellier s’éteint en août 1765, deux ans après la naissance de son dernier enfant. Elle en avait mis six au monde dans les dix années suivant la signature du premier bail, dont quatre sont morts en bas-âge. Julien Pacory rejoint sa femme peu de temps après. Leurs aînés, Julien, Bernard et Marie continuent à faire tourner le moulin jusqu’à la fin du bail.

Génération 2.Julien Pacory fils

Au château de Lisle, dans la nuit de vingt-six au vingt-sept février 1766, Catherine Anne de Lisle du Gast décède, entourée de sa famille, de prêtres et de ses femmes de chambre. Elle était âgée de quatre-vingt-un an et n’a pas eu de descendance.

Sa cousine, Renée-Augustine-Elisabeth de Juigné hérite des terres de Lisle. Cette dernière a épousé en 1730 Pierre-Philippe d’Héliand Seigneur d’Ampoigné en Anjou, elle donne naissance à un fils l’année suivante : Augustin-Pierre-Philippe d’Héliand, qui était présent à la sépulture de Catherine-Anne de Lisle et c’est avec lui que les baux du moulin de Lisle seront rédigés.

Armoiries d’Héliand :
D’or, à trois aigles d’azur, becquées et onglées de gueules 2 et 1

Bernard Pacory quitte Saint-Fraimbault-de-Prières vers 1769 pour Loré dans l’Orne où il épouse Marie Fouilleul, quelques années plus tard il exerce le métier de meunier à Cigné. Son frère Julien a épousé en 1767, Françoise Delangle. Une fille est née de cette union, prénommée comme sa mère, mais cette dernière décède un an plus tard. En mars 1770, c’est donc seul que le jeune veuf signe son premier bail avec Augustin-Pierre-Philippe d’Héliand, toujours devant le notaire royal René-François Oger. Les conditions changent peu, le meunier s’engage pour sept ans à « faire farine » et entretenir le moulin et ses terres contre quatre cents trente livres annuelles et toujours le même nombre de volailles. Mais une autre mission lui est confiée : Julien Pacory doit faire traverser la Mayenne, en bateau, à toutes les personnes du logis du seigneur mais aussi à leurs chevaux et autres marchandises. Comme dans le bail précédent en cas de débordement de la rivière, le meunier et sa famille pourront être logés par le bailleur et les bêtes abritées dans les écuries du château.

Extrait du verso de la troisième page du bail du 9 mars 1770 du moulin de Saint-Georges-de-Lisle – AD53 -Cote 140J26

66 ……………………., bien entendu que le dit
preneur passera et la passera avec le dit batteau
ou chalon toute les personnes du logis dudit
Seigneur baillieur chevaux et autre
70 beste et toutes provisions gratis…

Augustin-Pierre-Philippe d’Héliand d’Ampoigné épouse à trente-huit ans ans, en l’église de Grenoux, Elisabeth-Victoire-Eléonore de Monteclerc. Le couple s’installe à Grenoux où naît leur fils Pierre-Jean-Baptiste le dix-sept octobre 1771. Deux années plus tard c’est au Château de Lisle que la jeune mère met au monde sa première fille, puis trois autres enfants.

Julien Pacory se remarie en février 1776 avec Michelle Bardou, sa sœur Marie et son jeune frère Guillaume, treize ans, sont présents. La même année naît une fille Michelle, le parrain choisi est son oncle paternel Bernard Pacory. Durant la décennie suivante, Michelle Bardou met au monde six garçons nommés Augustin, Jean, Julien, Michel ; Pierre et Julien qui décèdent en bas-âge. Le couple renouvelle son bail deux fois pour neuf ans, de nouveaux services sont convenus comme celui de fournir un cheval au seigneur chaque fois qu’il en aura besoin, de faire un voyage à Château-Gontier avec un cheval de somme lorsque le seigneur le demandera, et de fournir une femme pour la lessive.

Le Seigneur de Lisle signe son dernier bail en 1786, il décède l’année suivante faisant de son épouse sa légataire. Lorsque la Révolution française éclate les fils d’Héliand fuient à l’étranger, leurs biens sont alors séquestrés et leur mère, leur sœur sont emprisonnées à Chartres comme il est écrit dans l’extrait du procès-verbal du comité révolutionnaire de Mayenne du 21 mars 1794 : « Elisabeth-(Victoire-Eléonore de) Montecler, veuve d’Augustin (Pierre-Philippe d’) Héliand- (Chambellay), ci-devant noble, demeurant à Fraimbault-de-Prières, âgée de 60 ans environ, trois enfants, sans avoir pu savoir leur âge, dont 2 garçons émigrés, et la fille avec sa mère mis en état d’arrestation comme mère et sœur d’émigrés, présentement à Chartres, vivant de leur revenu. Le revenu de ladite veuve se monte à 600 livres de rente, sans connaître celui de sa fille. Ne connaissant ni leurs relations, ni liaisons, demeurant à la campagne, aristocrates. ». Sa dame de compagnie Louise-Désirée Duvivier est aussi incarcérée par mesure de sûreté car elle fréquente les « grands fanatiques ».

Dans le Bas-Maine, la suppression de la gabelle, impôt sur le sel, provoque le mécontentement des contrebandiers. Presque tous les paysans proches de la frontière se procurent du sel en Bretagne exempt de taxe. Privées de leur revenu, des familles sombrent dans la misère. Ces contrebandiers forment les premiers groupes de Chouans qui prennent les armes dès l’été 1792 pour s’opposer au tirage au sort afin de recruter des soldats pour faire la guerre aux frontières. Très vite ils sont présents dans les campagnes pour enrôler les jeunes paysans. Un certain Pierre Pacory, fils de meunier de Cigné ou Chantrigné, est l’un des premiers Chouans du canton d’Ambrières. Les Chouans mènent une guerre d’embuscades contre les troupes républicaines. Des crimes sont commis contre les représentants de la République et des pillages des biens devenus nationaux. Les gardes républicains se vengent par des excursions militaires dans les paroisses soupçonnées de royalisme.

C’est dans ce contexte que le matin du vingt-neuf fructidor de l’an 5 (quinze septembre 1797) en la maison commune de Saint-Fraimbault-de-Prières, Michelle Bardou accompagnée de ses enfants, de ses frères et beaux-frères, déclare le décès de son mari Julien Pacory, survenu la veille au matin en son domicile. Dans le tome II de son « Dictionnaire historique », l’Abbé Angot écrit que le meunier du moulin de Lisle, fût assassiné par les Républicains et qu’une croix eût été érigée à l’emplacement de l’exécution.

Acte de décès de Julien Pacory – St Fraimbault de Prières-AD 53-E dépôt 159/E3


La paix est signée en février 1800, les Chouans sont contraints de rendre leurs armes sans avoir obtenu gain de cause. Michelle Bardou et ses enfants restent au moulin de Lisle.


A suivre Les meuniers du Moulin de Lisle (4) : les troisième et quatrième générations de Pacory

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