Matthieu Bigot est natif de la paroisse de Saint-Vénérand, faubourg du pont du Maine à Laval. Il est curé à La Croixille, petit village du Bas-Maine frontalier de la Bretagne. En 1677, il enregistre les actes paroissiaux avec d’autres prêtres de la paroisse. Il commence à laisser des écrits sans rapport directe avec sa charge à partir de 1693. Matthieu Bigot témoigne de ce qu’il voit durant les interminables guerres contre les Anglais, les Hollandais, les Espagnols… Il décrit les incidences économiques, les mouvements de population liés aux famines et aux épidémies, et les aléas météorologiques. Le curé rapporte ce qu’il entend tel un blogueur du 21ème siècle. Voici quelques extraits :

Juillet 1693 :
« …Le Roy a fait une déclaration par laquelle il ordonne aux Evesques
d’obliger les curés de leurs dioceses de donner une exacte declaration
de la quantité de grains de toutes espèces, qu’ils ont recueillies de
leurs dismes avec le nom des habitants qui payent la disme
et le lieu ou vilage ou ils demeurent c’est affin d’obliger
les curés et autres qui ont quantité de grains de les mener
au marché et empescher que l’on ne face des magasins … »
Quelques lignes plus loin, Matthieu Bigot fait un point sur l’actualité guerrière et invite ses lecteurs à prier pour la paix :

« …La guerre continue encore aussi cruelle que jamais et tous
nos ennemis sont si étroitement unis que jusques icy, on n’entend
point dire qu’ils se veillent séparer les uns d’avec les autres.
Luoiq L’Empereur, les hollandais les anglois les espagnols le
duc de savoye et tous les princes d Almagne composent cette
funeste ligue fait, Nostre Roy de france seul contre tous ces
ligues fait neanltmoing tous les ans de tres belles
conquetes sur ces enemis . »
« Le bled et le vin ont esté bien chers cette année
Je prie dieu qu’il nous regarde en pitié et qu’il nous
donne une bonne et solide paix c est pourquoy demandons
la luy devotement et luy disons
Da Pacem Domine In diebus Nostris… » [Ô Seigneur donne nous la Paix en ces jours]
En décembre de l’année suivante le curé reprend l’écriture de son « blog »

« La sécheresse a esté si grande cette année que les moulins
ne pouvaient moudre faulte d’eau et l’on a esté obligé
d’aller jusques a laval pour avoir de la farine.
La cherté du pain a esté si grande par de la le mans et
a paris que nous avons apris que le pain valoit 7l la
livre poids de seze onces a paris [environ 20 fois plus que le prix courant] et il a tant passé de
pauvres par icy qui abandonnoint leur paiis que nous en
avons vu passé par ce bourg jusques a 120 par jour.
Les maladies ont esté si fortes que l’on nous a mandé que
le tiers du monde s estoit mort a paris, a tours et en tous
les pays saults partie de maladie partie de faim, il se
trouve dans cette parroisse des fieuvres continues,
dont les uns meurent et les autres en guérissent mais
ils sont longtemps à se restablir, l’on en promet
beaucoup cêt hyver si je suis en vie je vous laisseray par
escrit ce qui sera arivé. Dieu nous conserve ce 14 aoust 1694″
Après cette année, le curé devient moins loquace, mais il lui arrive à l’occasion d’un décès accidentel de raconter les faits comme cette nuit de décembre 1705 :

« La nuit d’entre le vingt neufiesme jour
de decembre 1705 il fist un vent si impétueux
un peu après minuit que le domage qu’il causa
sur les bastiments de cette parroisse fut estime
15000 lt sans la perte des arbres fruittiers
et autres que l’on estime de plus grande valeur
Le domage le plus considerable et le plus
deplorable se fut l’ecroulement et la ruine de
la maison de la Roche soubs les ruines de
laquelle furent ecrase les nomes Pierre
Le Monier couvreur aage denviron 50 ans
Marie De liere sa feme aagée denviron 46 ans
Jean Le monier aagé denviron vingt et cinq
ans gervais monier age d’environ quatorze
ans françois le monier et Jean le monier et leurs
enfans et furent inhumes dans le cimettiere
Le trente et uniesme dud [dudit] mois et an par nous
Matthieu Bigot pbre [prêtre]
Curé de ceans »
Deux ans et demi plus tard, Matthieu Bigot écrit son dernier acte dans le registre paroissial de La Croixille. Il décède le 8 février 1709. Le curé est inhumé dans le cimetière de la paroisse qu’il aura servit presque 40 ans.

Sources :
Archives départementales de la Mayenne :
-Registre paroissial de La Croixille 1675-1680 E dépôt 64/E1
-Registre paroissial de La Croixille 1692-1730 4 E 97/1