Les cloches de l’église de Viviers-en-Charnie (1)

Le glas, la cloche des morts

Église Saint-Léger à Viviers-en-Charnie (53)

Le glas est la sonnerie de cloche signalant la mort ou les obsèques d’une personne, le son est lent et peut durer plusieurs minutes. Mais depuis quelques temps les habitants de Viviers-en-Charnie, village mayennais d’environ 900 âmes, viennent régulièrement se plaindre au maire, Stanislas Mauny, que tous les défunts ne sont pas traités de la même manière lors des cérémonies funéraires dans l’église Saint-Léger. En effet un courrier du 14 juin 1871, adressé au préfet de la Mayenne par le maire relate les faits reprochés au curé du village :

Recto :
« Viviers-en-Charnie, le 14 juin 1871
Monsieur Le Préfet
Depuis mon arrivée à Viviers, les habitants viennent
continuellement se plaindre, de la manière dont Mr le curé
agit à leur égard.
Depuis longues années, pour l’enterrement des pauvres de
la commune, aussi bien que pour les familles riches, les deux
cloches sonnaient sans distinction de rang. Monsieur le
Curé, Depuis ce mois environ, a cru devoir réformer les
anciennes habitudes et ne sonner qu’une cloche pour l’enterre-
ment des Malheureux. Ces derniers viennent journellement
se plaindre de ce que je ne demande pas d’explications à
Monsieur le Préfet, à ce sujet. Selon moi Mr le
Curé aurait dû continuer les anciennes habitudes, et
la manière d’agir de son prédécesseur.
Ne voulant pas être en désaccord avec les habitants de
ma commune, je viens vous prier, Monsieur Le Préfet, de
me prêter votre concours, et de m’autoriser, ou du moins de
prier Mr Le Curé, d’agir envers les pauvres, comme il le

Verso :
faisais anciennement, c’est à dire il y a environ 6 mois
comptant que vous donnerez plein droit à ma
réclamation.
Recevez, Monsieur Le Préfet, les sincères
salutations de celui qui a l’honneur d’être
Votre très humble et obéissant serviteur,

Le maire de Viviers
Mauny »

Stanislas Mauny, né à Torcé-en-Charnie en 1834, exerce la fonction de maire depuis 1865. Il est rentier et habite dans le bourg au château du Verger. Marié avec Marie Barnier en 1870 à Privas, il y est recensé en 1872. Il semble que Stanislas Mauny fasse des aller-retours entre ses deux résidences.
Le curé Gervais Pirault est originaire de Bourgon, fils de cultivateur, il est ordonné prêtre en 1854 à l’âge de 28 ans. Après avoir été vicaire à Saint-Pierre-la Cour et Vautortes, il devient curé de Viviers-en-Charnie en 1868 suite au départ de son prédécesseur vers une autre paroisse.

La réponse du préfet ne se fait pas attendre, elle est datée du 16 juin et s’adresse directement au curé de la paroisse :

« Laval, le 16 juin 1871
Monsieur le Curé, (de Viviers en Charnie)
Il résulte de réclamation qui me sont adressées,
que, contrairement aux usages suivi par vos
prédécesseurs, une seule des deux cloches de Viviers
-en-Charnie sonnerait à l’occasion de l’enterrement
des malheureux de cette paroisse.
Je vous serai reconnaissant, M. le Curé, de
vouloir bien me faire connaître si les
réclamations dont il s’agit sont fondées »


S’en suit des échanges de courrier entre le curé, appuyé par l’évêque de Laval, et le préfet.

Extrait du courrier de l’Évêque Casimir Wicart au Préfet daté du 26 juin
« […] en établissant une différence quant à la
sonnerie des cloches, entre les diverses classes de
sépulture, cet ecclésiastique n’a fait que se
conformer à l’usage général du Diosèce […] »

Courrier du curé adressé le 27 juin au Préfet de la Mayenne






«  Monsieur le Préfet,

Je pourrais opposer une plainte très fondée
à celle qui vous a été indûment adressée contre moi.
Mais j’aime mieux me borner à rétablir, dans toute sa
vérité, le fait contre lequel on a réclamé.
Il existe, pour l’usage du diocèse, un tarif des droits
casuels approuvé par le gouvernement. Ce tarif établit
quatre classes de sépultures. Comme chacune de ces classes
se distingue par le degré de pompe qui lui est attribué
il a paru aussi naturel que légitime de faire à Viviers
ce qui, avec l’approbation de Mgr de Laval, s’est fait
partout ailleurs, c’est-à-dire régler la sonnerie des cloches
sur le degré de la solennité des sépultures.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Préfet
avec profond respect
votre très humble serviteur
Viviers 27 juin 1871
Pirault, curé »

Le 27 juin, la préfecture répond au maire de Viviers en approuvant les écrits de l’évêché de Laval. Le maire ne semblait donc pas connaître les conventions quant à la cérémonie religieuse de l’enterrement de la plus basse classe, celle réservée aux indigents dispensée gratuitement par l’église.
Dix ans plus tard, le maire décède à Paris âgé de 46 ans, il est enterré auprès de sa femme au cimetière du Père Lachaise. Le jour de son décès, le curé Pirault a-t-il demandé au sacristain, François Richet, de sonner le glas pour annoncer son décès à ses administrés?

Sources :
Archives Départementales de la Mayenne :
-Dénombrements de Viviers-en-Charnie : cotes 6M459 [1841-1876], 6M460 [1881-1936]
-État civil de Viviers-en-Charnie : cotes 4 E 315/13 [1861-1870], 4 E 315/14 [1871-1880], 4 E 315/15 [1881-1890]
-État civil de Torcé-en-Charnie : cote 4 E 305/12 [1831-1840]
-État civil de Bourgon : cote E dépot 32/E12 [1823-1827]
-Sonneries de Cloches : cote 2 V 53
Archives de Paris :
-État civil de Paris 11ème arrondissement : cote V4E 4057 [05/1881-08/1881]
-Registre journalier d’inhumation du cimetière du Père Lachaise : cote CPL_RJ18801981_02 [1881]
Bibliothèque nationale de France :
-La Gazette de Château-Gontier du 31 mai 1908 page 2
-Journal officiel de la République française. Lois et décrets du 19 septembre 1906 pages 6382 et 6383

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