Marie est née en septembre 1851 à La Chapelle-Rainsouin : c’est la deuxième enfant d’un couple de cultivateur Mathieu Lefaucheux et Madeleine Legrand. Après s’être installée à Montsûrs, la famille s’agrandit de cinq autres enfants. Marie n’a pas vingt ans lorsque sa mère décède. Aidé par ses aînés, le père continue d’exploiter la ferme. Le 3 mars 1875, Marie met au monde une fille nommée Léontine. Mais le père de l’enfant ne s’est pas fait connaître et c’est son grand-père qui déclare sa naissance à la mairie. Le lendemain matin, Mathieu décède, laissant seuls ses enfants, la dernière n’a que douze ans. Ils vont continuer à travailler les terres de la ferme de Montsûrs mais rapidement chacun d’eux poursuit sa vie indépendamment des autres.
Marie place sa fille en nourrice et se fait engager comme domestique dans un hôtel à Laval, puis, elle travaille chez un plâtrier rue du théâtre. La jeune femme est de nouveau enceinte et accouche seule dans la maison de son maître dans la nuit du 7 au 8 août 1879. L’enfant est en vie mais Marie l’étouffe et après avoir gardé son cadavre quelques jours dans sa chambre, elle l’enveloppe de vêtements et le jette dans la Mayenne. Plus tard des pêcheurs font une funeste découverte. L’enquête mène rapidement à Marie qui après avoir nié, avoue le crime suite à l’examen d’un médecin. Le procès s’ouvre à l’automne de la même année. Marie n’explique pas son geste et dit n’avoir été ni conseillée ni aidée de personne, et que son employeur n’était pas au courant de sa grossesse. Le 22 octobre 1879, elle est condamnée à huit ans de travaux forcé

Jusqu’en 1885 les femmes peuvent choisir de partir à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie. C’est un mode d’exécution de la peine des travaux forcés appelé la transportation. D’abord incarcérée à la prison de Rennes, Marie embarque sur « Le Penseur » au port de Nantes le 5 janvier 1881. Après quarante jours de navigation, elle débarque en Guyane et est internée aux Îles du Salut.
Les Îles du Salut sont un archipel de trois îlots nommés île Royale, île Saint Joseph et île du Diable. Chacune d’elle a sa spécificité : on trouve sur la première l’administration, l’hôpital, l’embarcadère et les dépôts de marchandises. La seconde est réservée aux détenus les plus difficiles qui n’avaient pas le droit de parler et la troisième pour les détenus politiques ou de droits communs. C’est le bagne réputé le moins dur de Guyane, même si les conditions de détention sont humiliantes : les cellules sans toit, remplacé par une grille, permettent aux gardes situés au dessus d’épier tous les faits et gestes des détenus.

Marie ne reste pas sur ces îles car comme les autres femmes, son destin est de peupler la colonie. Pour cela les femmes débarquent munies des papiers nécessaires à leur future union. Elles sont confiées à la garde des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny dans un dépôt nommé couvent. Outre la couture et les tâches domestiques, les bagnardes s’occupent aux travaux agricoles et les plus robustes sont choisies comme épouses. Les hommes, à l’expiration de leur peine, sont astreints au doublage : ils doivent rester sur le territoire Guyanais autant de temps que la durée de leur condamnation si celle-ci ne dépasse pas huit ans, sinon leur retour en métropole n’est pas possible. Ils peuvent alors s’installer dans une commune pénitentiaire comme Saint-Laurent-du-Maroni ou se voir confier une concession à défricher. Certains d’entre eux demandent alors à prendre une épouse, et l’administration se charge d’arranger un mariage. Après une première visite, accompagné d’un surveillant, l’homme fait son choix parmi les femmes sélectionnées. De plus une seconde entrevue sans témoin directe permet au couple de confirmer leur souhait.

Le 8 janvier 1884, Pascal Ferréa épouse Marie Lefaucheux en la mairie de Saint-Laurent-du-Maroni. Les témoins de ce mariage sont des gardiens. Aucun des époux n’a purgé sa peine. Pascal Ferréa est libérable en juin 1884 : il est menuisier et Marie exerce le métier de couturière. L’année suivante, en août Marie met au monde son troisième enfant. Pascal se rend le jour même déclarer la naissance à la mairie et nomme son enfant Jeanne Marie Aimée. Bien que libérable à l’automne 1887, Marie bénéficie d’une remise de peine le 14 juillet 1886. Le couple est libre mais contraint de rester à Saint-Laurent-du-Maroni pour effectuer le doublage. Cinq ans et demi plus tard, Pascal décède à l’hôpital : Marie reste seule pour élever sa fille.
Le dossier de Marie n’a pas été conservé, et son lieu de décès est encore inconnu. Rien ne permet de dire si elle est revenu en métropole, mais sa fille Jeanne s’est mariée dans l’Aisne en 1906. Quant à Léontine, sa fille aînée, elle a vécu en région parisienne. L’histoire ne dit pas si les deux sœurs se sont rencontrées.
Sources :
– Archives départementales de la Mayenne : Recensements – État civil
– Archives nationales d’outre-mer : Registres des matricules – État civil
– La Gazette de Château-Gontier du 26/10/1879
– Le Petit Marseillais du 10/06/1874
– ZACCONE, Pierre. Une haine au bagne publication. 1964. Editeur Paris : Victor BUNEL
– MALTE-BRUN, Victor-Adolphe. Notice sur la transportation à la Guyane française et à la Nouvelle Calédonie (1866 et 1867)
– BOUYER, F. La guyane française : notes et souvenirs d’un voyage. 1867. Paris Hachette
– SANCHEZ, Julien-Lucien. Crime,Histoire & Sociétés Vol.17, N°1 2013- La relégation des femmes récidivistes en Guyane française (1887-1907). pages [77-100]
– CASTIEAU, Léa. DOBROS, Anne-Laure. Focus Saint-Laurent du Maroni au temps du bagne. Service patrimoine, avril 2012. Relecture novembre 2018.
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